MARCELLO (1836-1879)

portrait

Adèle d'AFFRY, duchesse CASTIGLIONE COLONNA, de son nom de sculpteur: MARCELLO. Elle appartenait à l'une des grandes familles de l'aristocratie fribourgeoise. Sur sa tombe, à Givisiez, près de Fribourg, sont gravés ces mots: "Elle aima le Beau et le Bien et ses oeuvres lui survivent". Sa devise était: "Jamais moins, toujours plus". Quel programme ! Mais quelle femme elle était !

Quand une vocation d'artiste naît dans une âme d'élite visant à la perfection, lorsque l'artiste lui-même vit dans un climat passionné générateur des plus nobles inspirations, il peut arriver que la beauté de l'oeuvre dépasse son auteur et éclaire de sa lumière tous les actes d'une existence ou les ombres et les tourments ne font point défaut, ce qui est commun à tous les mortels. "MARCELLO est le rare exemple de ce que peut une femme de coeur et d'esprit, lorsque non seulement elle suit sans réserves le génie qui l'anime, mais lorsqu'elle en fait encore le moyen de rendre plus exquis autour d'elle les fruits de la culture et de la civilisation. Elle devient alors la dame élue pour donner un sens plus vrai, plus profond, à la douceur et à la grandeur de vivre". Son chemin croisa celui de Charles GOUNOD en 1867. Ce fut un 8 avril à Paris. Le 12 il lui écrivait.

"Merci ! -avant tout- puisque ma bonne étoile a permis que ce mot-là, qui est à lui seul un bonheur, fût le premier de la première de mes lettres... Vous m'avez montré une fois de plus que ce qu'il y a de meilleur est donné à ceux qui ne se cherchent pas, puisque je vous ai trouvée. Voilà de quoi me rendre à tout jamais reconnaissant envers mon art, et me prouver qu'il m'aime véritablement".

Quinze jours plus tard, le 27 avril 1867, ce sera la première de Roméo et Juliette.

"Et puis maintenant que Juliette est née sous vos yeux, il faut que j'aille vous entretenir de ce qui naîtra sous ce rayon que vous êtes et que j'ai reçu et qui ne me quittera plus".

Cette correspondance passionnée, entre deux êtres passionnés par leur art, entrecoupée de rencontres à Paris et à Rome, durera plus de deux années. Hélas les lettres de MARCELLO ne sont pas parvenues jusqu'à nous, sauf une. Il est à craindre qu'elles n'aie été détruites. On dit que GOUNOD se les faisait adresser au concierge de l'Opéra, voulant éviter des rumeurs toujours pénibles.

Cette amitié, disons amoureuse, fut tenue secrète pendant plus d'un siècle, et c'est au début des années quatre-vingt qu'en Belgique je pris connaissance des lettres de Charles GOUNOD. De cette correspondance il apparaît que GOUNOD fut pour la duchesse un ami fidèle. Un même idéal très élevé, un même désintéressement, une même religion du Beau les unit. La duchesse aima et vénéra GOUNOD qui sera son confident, son conseiller.

Si certaines lettres de GOUNOD sont le reflet d'une nature passionnée, voire exaltées, en matière d'art les deux amis s'accordaient parfaitement et toujours. On comprend que les problèmes dont ils débattent les unissent sur le plan de la foi religieuse et d'un commun amour de la Beauté, c'est bien là qu'il faut voir le principe vital de leur intimité.

Près de trente années après son amitié pour Pauline VIARDOT et Fanny HENSEL, GOUNOD rencontre à nouveau un être d'esprit et de chair qui parle le même langage que lui, le langage des artistes de génie qui connaissent les souffrances et les joies de la création.

Et justement, ces années là, GOUNOD est pris d'un doute terrible sur ses capacités à poursuivre son oeuvre. Elles connaît les même inquiétudes et ils se soutiennent l'un l'autre. GOUNOD, le 25 fevrier 1869 lui écrira: "L'union consiste à se charger l'un de l'autre afin de ne plus avoir à se porter soi-même, ce qui est l'Enfer. Ne laissez pas la morsure du banal grignoter votre âme". Dès 1868 MARCELLO sut probablement répondre à l'angoisse qui étreignait GOUNOD et qu'il lui dépeignait en ces termes: "ce mal étrange qui m'obsède depuis si longtemps déjà et qui me conduit par des routes dont le dessein est si mystérieux pour moi. Je souffre de la suppression des pores de l'âme. Un tremblement de terre seul peut me sauver". Le tremblement de terre ce sera la guerre et le désastre de 1870. Mais fut-il sauvé ?

Il faudra attendre de longues années pour que la première nouvelle oeuvre importante de GOUNOD voie le jour, ce sera en 1882 "Rédemption", oratorio sacré sur un poème dont il fut l'auteur et qui "part de la douleur et des larmes pour arriver à la pleine lumière et à la joie", écrira-t-il.

Il m'est agréable de penser qu'à l'Opéra de Paris où la musique de GOUNOD retentit si souvent, on peut admirer une oeuvre de MARCELLO représentant une Pythie. Les bustes, mêmes en bronze, ont parfois des oreilles; la tête de la devineresse est tournée comme pour voir d'où vient cette musique qui lui est si familière.

Camille CLAUDEL était l'élève de RODIN. MARCELLO fut l'élève de CARPEAUX dont elle laisse un buste saisissant. Elle était, elle aussi, une amie fidèle de Pauline VIARDOT.

 

Jean-Pierre GOUNOD

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