Anna ZIMMERMAN
(1829-1906)
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Et Anna ? Qui était-elle, quel rôle eut-elle
auprès de son mari ?
Elle avait onze ans de moins que Charles et quand ils se
marièrent en 1852, Charles avait 34 ans.
Dans ce fameux Square d'Orléans, proche de la Rue
Pigalle ou GOUNOD habitait avec sa mère, les salons
de Joseph ZIMMERMAN et de sa belle épouse Hortense
étaient très accueillants. Se pressaient dans
les salons des femmes charmantes, de célèbres
virtuoses, des artistes de tout genre. Les amusants jeudis
de ZIMMERMAN offraient pour chaque soirée un nouvel
attrait à la curiosité: un tableau de
maître, un artiste étranger de
réputation musicale acquise en Allemagne ou en
Italie. Un autre soir un fragment d'opéra en
répétition vient solliciter les suffrages des
dilletanti de salon, une timide élève du
Conservatoire essaie en chantant de se donner l'aplomb dont
elle aura besoin à la scène. On imagine sans
peine que Charles GOUNOD, grand prix de Rome de composition
musicale ait été reçu dans ce
cénacle romantique. Mais, comment entra-t-il dans la
famille, que la tradition soit vraie ou non, la chose
mérite d'être contée.
Comment faire quand on a quatre filles à marier,
intelligentes et de bonne éducation, pas
forcément jolies, et de plus... sans dot ? Voici
comment on agit, disait Madame ZIMMERMAN qui ne manquait ni
d'esprit ni d'à propos, et qui de surcroît
était séduisante, elle !
"Pour la première on fait des gracieusetés.
Pour la deuxième, des avances, Pour la
troisième, des lâchetés, Pour la
quatrième, on commet un crime!" GOUNOD épousa
la troisième. Y eut-il lâcheté ? On
raconte qu'elle lui fut poussée dans les bras, alors
qu'il venait rendre visite et annoncer que tout compte fait
il ne se sentait ni prêt ni digne d'épouser
aucune des quatre ! "Je vous la donne'" aurait dit Madame
ZIMMERMAN en ouvrant la porte sans laisser à GOUNOD
le temps de parler. Et ainsi fut fait ! Cette scène,
GOUNOD ne l'a jamais inscrite dans aucun de ses ouvrages.
Nous n'avons pas eu "Le marié malgré lui".
Devint-il amoureux d'Anna ? Il ne semble pas que ce fut
le coup de foudre. Cependant, parmi les lettres qui sont
venues jusqu'à moi il en est une qui apporte la
preuve qu'un sentiment profond avait pris naissance dans son
coeur:
"C'est à cette heure de silence et de
recueillement qui termine le jour et précède
le sommeil que je veux demander quelques mots d'une
tendresse tout à l'heure muette par l'excès
même de l'émotion, Je viens vous dire "merci et
amour" à ce moment où chacun rentre en
soi-même et où l'âme parle bien mieux
seule que la pauvre parole si insuffisante parfois à
la traduire".
Sapho l'avait fait connaître, la méditation
sur le premier prélude de BACH était à
peine composé. Anna ne pouvait pas encore deviner
chez Charles celui qui atteindrait la
célébrité de son vivant,et Joseph
ZIMMERMAN s'empIoyait à faciliter à GOUNOD
l'édition de son opéra Ulysse lequel serait
créé à peine un mois après son
mariage.
Le premier geste d'amour d'Anna fut de refuser l'achat
d'un bijou que lui proposait sa future belle-mère,
pour consacrer cette somme à offrir à Charles
un piano qu'il convoitait. Elle renouvellera le geste
vingt-cinq ans plus tard avec des orgues de
Cavaillé-Coll.
Quelle influence eut Anna sur les capacités
créatrices de son mari ? Je suis bien
embarrassé pour le dire et je ne pense pas être
injuste en disant qu'elle ne joua pas le rôle d'une
inspiratrice. Ses lettres manifestent d'une tendre
fidèle et solide présence, ce qui ma foi,
était un don bien précieux de sa personne
auprès d'un mari dont les caprices du génie
créateur ne devaient pas être toujours faciles
à vivre. MOZART, en parlant de Constance disait:
"Elle n'avait pas de vivacité d'esprit mais assez de
bon sens pour pouvoir remplir ses devoirs d'épouse et
de mère": Ni l'une ni l'autre n'ont constitué
un entrave à la carrière de leur
époux.
Les relations intellectuelles, culturelles de GOUNOD avec
sa femme n'étaient certes pas du même ordre que
celles qu'il eut le bonheur d'avoir avec Pauline VIARDOT,
Fanny HENSEL, et plus tard avec MARCELLO. Il tenait sa femme
au courant de l'évolution de ses créations
musicales. Mais les grands enthousiasmes, provoqués
par le choc de deux natures artistiques hors du commun,
c'était avec d'autres, et Anna en fut bien sur un peu
jalouse. C'est cette jalousie qui explique le secret avec
lequel GOUNOD entoura ses relations avec MARCELLO. C'est
cette jalousie qu'il mit en avant pour ne pas écouter
Anna lorsque plus tard elle voulut qu'il mit un terme
à son exil. Elle sentait qu'elle ne participait pas
à ce domaine où d'autres avaient
accès.
Si GOUNOD composa dans sa jeunesse successivement Sapho
à la gloire de la poétesse à la lyre
immortelle, puis Ulysse qui se faisait attacher au mât
de son navire pour ne pas succomber au charme des
sirènes, il faut bien admettre que GOUNOD fut souvent
Ulysse et qu'Anna craignait les sirènes.
Jean-Pierre GOUNOD
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